La place du père

Depuis les années 1970, la cellule familiale s’est profondément transformée. L’autorité paternelle a laissé la place à une autorité parentale, les femmes ont investi le monde professionnel, ces changements sociétaux se sont accompagnés d’une restructuration de la place et du rôle de la mère et du père au sein de la famille. Le Reaap de Vendée (Réseau d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents) de mai 2023 avait pour thème « La place du père ». 120 professionnels se sont retrouvés pour remettre en perspective dans leur pratique, les impacts de ces changements profonds dans leur rapport aux familles.

L’animateur de cette rencontre était le sociologue Gérard Neyrand, professeur émérite à l’Université de Toulouse 3 spécialiste des questions liées à l’évolution de la famille et auteur de nombreux livres de référence sur les rôles parentaux. Dans la conférence, Il réinterroge la place du père en 2023, au regard des évolutions sociales, des évolutions des savoirs des sciences humaines dans la perspective d’une optimisation du soutien à la parentalité. Le soutien à la parentalité étant devenu une politique publique depuis 1999, date de la création des Reaap (Réseau d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents).

La remise en cause d’un ordre symbolique

Depuis le 19ème siècle et jusque dans les années 70, il était établi que le rôle du père était de faire preuve d’autorité, celui de la mère étant la tendresse et le soin. Des générations de professionnels et de parents ont été formées sur ce modèle qui opposait deux rôles bien différents de la mère et du père. Mais depuis 50 ans, cet ordre s’est fissuré avec l’évolution des mœurs et aussi des savoirs. Les années 1968-1975 ont été des années de basculement, la mutation des principes de références et de fonctionnement de la famille a été tellement profonde que les spécialistes des Sciences humaines ont parlé de révolution culturelle ou anthropologique.

Dans ce changement de regard, la question de la place du père tient un rôle central. Mais autant, la place de la femme a fait l’objet de nombreux écrits et analyses (Simone de Beauvoir, Françoise Dolto,…), rien d’équivalent n’a été produit sur l’évolution de la place du père sans doute parce que le « sexe dominant n’avait pas besoin d’afficher sa légitimité ».

Dans les années 80, de nombreux écrits sur la paternité notent que l’affirmation de l’indépendance nouvelle des femmes s’accompagne de la fragilisation de la place du père dans la famille. C’est dans cette période que s’installe l’affirmation d’une position plus paternante à l’égard des bébés accompagnée de la promotion d’un dialogue conjugal et familial et qu’un nouveau modèle démocratique de la famille s’installe.

L’adaptation des politiques publiques

Cette révolution a entraîné un certain flottement des décisions politiques en matière familiale et leur traduction juridique. Les politiques ont eu du mal à s’adapter à l’évolution des mœurs. L’explosion des séparations conjugales (1970 : 10% de divorce, 1985 : 30%), la désinstitutionnalisation du mariage, la croissance des unions libres et des naissances hors mariage montre que c’est l’enfant qui fonde la famille.

Le changement du droit de 1970 à 2002 ne permet pas de dire que l’égalité des rôles du père et de la mère est effective partout et dans toutes les familles. A l’image du combat des femmes et à leurs difficultés à obtenir une position égale aux hommes dans l’espace public, la vie professionnelle et encore la sphère politique correspond les difficultés des pères à faire reconnaître une paternité qui serait dégagée du dogme patriarcal et affirmée dans la proximité au bébé et à l’enfant.

Coparentalité et légitimité de place

Si aujourd’hui, être un « bon » père ou une « bonne » mère c’est savoir organiser une coparentalité qui soit harmonieuse pour arriver à un fonctionnement démocratique dans la famille. Il y a encore de nombreux freins à l’égalisation des places et des rôles de sexe dans la famille. D’une part, des freins sociétales, il faut dépasser les représentations sociales dominantes qui définissent encore des fonctions liées au genre pour les femmes mais aussi pour les hommes et d’autre part des freins avec soi-même plus inconscients qui organisent notre façon de se positionner, de façon féminine ou masculine. Une manière d’être et de faire que l’on a acquise avant nos 3 ans et qui est intériorisé.

Dans les couples, cette tension doit se traduire par de l’échange, de la communication  pour envisager ensemble l’éducation de l’enfant dans un environnement où les normes sont multiples et diverses.

L’augmentation récente du congé paternité montre la volonté de rechercher une égalité de droits tout en prenant en compte les différences de sexes. La tendance  à l’égalisation des places et des statuts, si elle suit en quelque sorte l’évolution des mœurs, ne remet pas en cause pour autant la différenciation des genres.

En conclusion : vers une égalité parentale ?

Dans sa conclusion, Gérard Neyrand montre que les nouvelles pratiques de paternage et d’évolution des places parentales à l’intérieur du couple mettent en avant la nouvelle position paternelle plus proche de l’enfant. « En conséquence, ce qui manque sans doute au positionnement identitaire du père moderne, c’est l’élaboration d’un nouveau principe de légitimité que semble-t-il pourraient lui apporter les sciences humaines. Ce qui suppose une refondation théorique de la place du père par rapport à l’enfant, intégrant les nouveaux paramètres de l’évolution sociale et libérant la mère d’un pouvoir excessif sur l’enfant, qui correspond le plus souvent à une charge matérielle et mentale injustifiée. Le défi de la modernité au XXIème siècle réside sans doute dans la capacité à mettre en œuvre une égalité parentale, qu’elle soit structurée ou paritaire, sans pour autant en arriver à dénier la spécificité identitaire des sexes.».

Retrouver l’intégralité de l’intervention de Gérard Neyrand et les questions du public.

Bibliographie

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